Avec la démocratisation de la photographie, le portrait de famille et l’autoportrait – le fameux selfie – en somme la production des images de soi et des siens, tient une place primordiale dans la sphère privée. En revanche, le portrait public a-t-il tant changé ? S’il est très répandu aujourd’hui, rien ne remplace encore l’image posée du personnage devant un fond neutre. Les jeux de lumières ou le choix du photographe de retenir l’instant le plus révélateur de telle expression a finalement peu d’influence sur l’esprit bourgeois de la représentation identifiée du pouvoir. Qu’y a-t-il de si différent entre un mouvement spontané sur commande et l’effet inconscient de l’immobilité contrainte ? Le portrait officiel tient de l’affirmation plutôt que de l’évocation, la psychologie qui se dégage revient seulement à conférer une tonalité à l’action, toujours en arrière fond. Ainsi, le portrait public est un genre d’image que l’on connaît, il n’a pour seul mystère que son sujet. A l’opposé, le paysage reste insaisissable. Au départ simple décor dans la peinture, il devient progressivement un genre dont les développements les plus aboutis mènent à l’abstraction, quittant le réel au lieu de l’apprivoiser. Il devient alors une échappée : des représentations cosmiques au pur jeu des formes et des couleurs, bien que tantôt ponctué de rappels, en réaction à l’urbanisation du monde, mais toujours inspirés de la relation mythifiée des hommes à la nature. Or voici que le citoyen change son regard sur le vivant, invente l’environnement dont il se découvre partie prenante. Le paysage qu’on découpait dans un cadre, comme le portrait qui remplissait la toile, ne peuvent plus s’ignorer. Pourtant, le pouvoir semble démuni face à la crise écologique. Un dialogue doit se nouer entre ces deux images du monde, entre ces deux mondes de l’image. Nos visages citoyens ont tenté cette rencontre.
Photographie: © Julie Boileau, 2013, série Visages citoyens n°17 (détail)
Océane Peiffer-Smadja, doctorante en économie
JULIE BOILEAU #photographe invitée du projet 'visages citoyens' : diplômée de l’École nationale supérieure Louis Lumière, elle vit et travaille aux Lilas en Seine-Saint-Denis. Née en Charente Maritime, elle y est invitée en résidence à l’Abbaye de Fontdouce, pour réaliser l’exposition commandée à l’occasion de ses neuf cents ans en 2011. Consacrant l’essentiel de son travail artistique à la nature et sensible à la crise environnementale, elle décide l’année suivante de partir à la rencontre des acteurs de l’écologie. Intitulé « dernier appel », ce projet rassemble tant le portrait de personnalités nationales et internationales comme Nicolas Hulot, que des militants investis au quotidien sur leur territoire. Il fera l’objet d’une publication en 2015. En 2012, elle rejoint le.sas pour réaliser la scénographie de l’exposition participative « un été à Montreuil » avec les habitants de la ville.
Le studio mobile du 25 avril 2013 à l'Assemblée nationale, lors des Rencontres nationales du logement et de l'habitat, pendant le Débat national sur la transition énergétique
En France, le citoyen est peut-être notre plus grande figure mythique. A la fois révolutionnaire et résistant, intransigeant et indigné, romantique et juridique, il ne s’incarne pas dans une galerie de personnalités historiques hautes en couleurs mais dans un caractère, dont chacun serait le dépositaire universel. Il n’a pas d’âge, ne vieillit pas. Il ne fait pas d’ordre entre les sexes. Il ne pâlit pas devant l’adversité, ne fléchit guère face à la difficulté. Il se bat sans relâche pour ses idées ; l’histoire des hommes, celle qui s’écrit avec une langue. Le citoyen prend la parole, provoque les situations, éprouve les positions. N’attendant pas la convocation, recherchant parfois la confrontation, il colore le débat public d’un esprit politique, anime la société sans craindre de la diviser le temps d’une polémique âprement tranchée. Avec lui, la démocratie s’entretient dans un mouvement vif au goût de conquête. Avancer vers l’idéal, fort des principes hérités des grands textes, ceux qui voient dans la logique une esthétique, dans la manière un art du raisonnement. Une synthèse abstraite, souvent au nom de République, donne invariablement la direction. Et si les formules peuvent manquer d’adresse, elles ne dévient pas de leur orientation. Tout énoncé ne manque jamais son objectif, chaque tentative porte en elle la voix concordante de sa volonté dans le droit. Même le lyrisme d’une affirmation spontanée, s’attachant au geste avant de souligner le trait, renforce le symbole, poursuit la destinée d’une aventure collective à nulle autre pareille.
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